D’après le roman de Stanislas Andrée Steemann

Réalisateur : Henri-Georges Clouzot

Adaptation & Dialogues : Henri-Georges Clouzot & Jean ferry

Acteurs Principaux : Louis Jouvet, Bernard Blier, Suzy delair, Simone Renant

Genre : Drame

Sortie : 1947

Ayant droit producteur : © 1947 STUDIOCANAL

L’histoire : 

À Paris, Jenny Lamour, (Susy Delair) issue d’une famille modeste, est une jeune chanteuse de music-hall mariée à un mari jaloux, Maurice Martineau (Bernard Blier), lui-même pianiste-accompagnateur. 

Ils partagent un appartement situé au-dessus d’un studio photo, spécialisé dans le « nu artistique » et tenu par une amie du couple, la blonde, Dora (Simone Renant). 

Jenny accepte un rendez-vous avec Brignon (Charles Dullin), un banquier fortuné qu’elle rencontre chez Dora. Par bravade, Jenny révèle ce rendez-vous à son mari qui se rend, à l’insu de sa femme, au restaurant convenu, chez Lapérouse en cabinet particulier, et menace de mort Brignon. Rentrant un soir chez lui, Maurice ne trouve pas Jenny— elle s’est rendu au chevet de sa grand-mère, sans que Maurice ne soit parvenu à la joindre au téléphone — mais  ce dernier découvre sur un bout de papier, l’adresse de Brignon, « villa Saint-Marceau». 

Il s’y précipite, armé, non sans avoir fait un détour par un music-hall dont il est l’habitué pour se constituer un alibi. : prendre un ticket pour la soirée, déposer son pardessus au vestiaire et rejoindre sa voiture par la sortie des artistes. Arrivé au domicile de Brignon, il le trouve assassiné. Epouvanté, il se précipite à l’extérieur et s’aperçoit qu’on lui a volé sa voiture. Il repasse par le music-hall pour récupérer son pardessus et se montrer juste avant la fermeture. 

Le lendemain, les journaux relaient l’assassinat de Brignon. Jenny, bouleversée, explique alors à son amie Dora, que Brignon ayant été insistant et lubrique, elle l’assomma avec une bouteille de champagne. Dora s’en va rechercher chez Brignon les « renards » que Jenny avait oubliés. Maurice à son tour raconte sa nuit à Dora, et parvient enfin à joindre à sa femme au téléphone, chez la grand-mère. 

L’Inspecteur principal-adjoint Antoine (Louis Jouvet) est chargé de l’enquête. Il entend les différents suspects, et l’on apprend qu’un cheveu blond a été retrouvé sur les lieux du crime et qu’un chauffeur de taxi a chargé une femme blonde. Ses soupçons s’orientent également vers Maurice dont il découvre la fragilité de son alibi. Mais Dora est formellement reconnue par la chauffeur de taxi, tandis que le voleur de la voiture de Maurice, un ferrailleur dénommé Paulo dont la maîtresse est également blonde, est activement interrogé par la Police judiciaire. Maurice est placé en détention préventive. Il tente de se suicider, tandis que Jenny, pour sauver son mari, avoue le meurtre. Puis Dora tente à son tour d’endosser le crime.

Mais l’Inspecteur Antoine, grâce à son intuition et à un interrogatoire « poussé », parvient à démontrer la culpabilité de Paulo (Robert Dalban).

​LE CONTEXTE 

Depuis presque toujours le roman policier est associé aux Anglo-Saxons, il est bon de rappeler que s’il y eut un pays propre à développer le genre et à lui donner ses lettres de noblesse, ce fut bien la Belgique. Deux géants se  partagent le territoire : Georges Simenon et Stanislas-André Steeman.Stanislas André Steeman est un écrivain belge né en 1908 à Liège, auteur de nombreux romans policiers dont vingt-sept ayant pour héros le commissaire Wencelas Vorobeitchik alias Wens. Steeman remportera le second prix du roman d’aventures en 1931.

Le roman a pour titre original : “Légitime défense” et c’est un roman sans Wens, paru en Belgique en 1942. Le personnage  de Wens sera par ailleurs réintroduit par Henri-Georges Clouzot dans « L’assassin habite au 21 », alors que le roman ne le mettait pas en scène. Les romans policiers de Steeman savent concilier l’humour et l’aventure, la notation psychologique et l’exposé des faits : l’image et l’écran y trouvent leur compte. Ici, l’adaptation de Clouzot prend certaines libertés.

« Légitime défense » fut repris aux Éditions Fayard en 1947 sous le double titre Légitime Défense/Quai des Orfèvres à l’occasion de la sortie du film d’Henri-Georges Clouzot.Les modifications de Clouzot concernent essentiellement les personnages qu’il étoffe, qu’il dote d’un passé, dont il approfondit le caractère. Enfin il place l’action dans le contexte français de l’après-guerre (1947) ce qui lui permet de livrer une vision de la société parfois assez pessimiste et où sa sympathie va nettement aux plus humbles.

 Pourtant cette collaboration sera la dernière entre Clouzot et Steeman, ce dernier dira de Clouzot « Il me semble capable de construire qu’après avoir tout détruit ».Mais n’était-ce pas un malentendu entre les deux artistes? Steeman cherchait peut être un « habilleur cinématographique de ses intrigues » et Clouzot un « prétexte à son expression »?

L’intrigue du roman :

Noël Martin en rentrant chez lui trouve un mot de sa femme Belle qui lui dit être partie chez sa mère malade. En lisant machinalement la lettre d’une amie de sa femme, il apprend que cette dernière a peut-être une aventure avec un certain M. Weyl, ami du couple. Maladivement jaloux, il téléphone chez sa belle-mère et s’aperçoit que personne ne répond. Il ddécide alors de se rendre chez Weil et, s’il le faut, de le tuer. Il gare sa voiture intentionnellement sur un parking interdit, devant un cinéma, et prend un billet d’entrée pour avoir un alibi puis il se rend chez son rival. Quand il arrive il voit une femme qui s’enfuit et croit reconnaître Belle. Il entre. Weil est endormi sur le canapé. Martin prend un maillet et lui fracasse le crâne… Martin va se croire coupable alors que ce n’est pas lui qui a tué. Ce n’est qu’à la fin du roman que le coupable sera révélé.

SCENARIO ET  DIALOGUES : HENRI-GEORGES CLOUZOT ET JEAN FERRY

Clouzot a déjà adapté Steeman pour « L’Assassin Habite au 21 ».

Ayant égaré “Légitime Défense” et ne pouvant pas attendre, il se met au travail et élabore un premier scénario d’après ses souvenirs, sur une idée d’alibi parfait. Il collabore avec Jean Ferry, qui lui travaille pour le cinéma pour la première fois. Ferry ne va pas être déçu. Coups de téléphones nocturnes, visites impromptues, interrogatoires serrés, « Que fait le cocu pendant ce temps-là ? »,  ramettes de papiers jetées au plafond… Un vrai festival. Clouzot se fiche de savoir pour son film qui est l’assassin de Brignon (Charles Dullin), l’industriel torve, amateur de photos de nus, érotiques pour l’époque.

 Ce qui intéresse Clouzot, c’est la pâte humaine qui constitue le cœur et l’âme des petites gens pris dans la nasse du filet de la police. Pour ce faire, on lui ouvre les portes du Quai des Orfèvres. Il y restera quinze jours, suivant notamment l’enquête infructueuse qui vise à mettre Pierrot le Fou et son gang des Tractions sous les verrous. Procédures, interrogatoires, parfois musclés, passage au piano (prises d’empreintes digitales), beuveries, relations de commissaire à inspecteurs, d’inspecteurs à truands…. Rien ne lui échappe.

En moins d’un an le script est fin prêt. Il s’appelait « Joyeux Noël », on le rebaptise Quai des Orfèvres et c’est de l’or ;  citons notamment cet échange entre Louis Jouvet et Simone Renant.

L’année 1947 a été l’une des années les plus dures de l’histoire contemporaine de France. Certains historiens l’ont appelée “l’année terrible” ; on pourrait dire aussi : “l’année de tous les dangers”. La France se trouvait alors dans une situation très difficile à plusieurs points de vue.

Les premiers problèmes découlaient de l’état économique et social du pays. La guerre venait de se terminer, et elle avait laissé un pays partiellement détruit et ruiné. La reconstruction n’avait pas vraiment commencé, ou du moins on n’en voyait pas les effets. Le déficit de la balance commerciale doublait de 1945 à 1947. On ne voyait vraiment pas comment le pays pourrait repartir. Tout paraissait coincé, de partout. Dans cette ambiance critique, le moral de la nation flanchait. Les trafics étaient considérables et le marché noir plus florissant que jamais. Les hommes politiques devaient non seulement tenter de résoudre les difficultés internes, mais aussi externes (en Algérie, en Indochine, à Madagascar, au Maroc).

Mais, du côté du peuple la guerre commence à s’éloigner un peu, les bruits de la Libération aussi, et Henri-Georges Clouzot qui a eu son heure de gloire, en 1943, lors du « Corbeau » va bientôt recommencer à tourner des films, plutôt à les mettre en scène, après une longue période de silence, bien involontaire, causée par les péripéties d’une politique infiniment exclusive : tous ceux qui avaient travaillé pendant la guerre, en France, donc sous l’occupation allemande, étaient plus ou moins, interdits de travail.

Il se classe aussitôt parmi les premiers metteurs en scène du monde. Adaptateur et dialoguiste du « Dernier des six », il prend goût à la mise en scène en assistant aux prises de vues dirigé par Georges Lacombe, en 1941. L’année suivante, il s’essaie à opérer lui-même et signe l’adaptation, les dialogues et la mise en scène de « L’Assassin habite au 21 ».

 L’ennui pour Clouzot c’est qu’il apprend son métier et s’impose pendant l’occupation, grâce à une firme allemande, la Continental Film. Et pour certains ceci ne sera pas pardonnable…A la Libération, Clouzot se voit interdire pendant deux ans de s’occuper de cinéma. Mais ce n’est pas un martyr pour autant, c’est un homme qui a de la ressource et de l’intelligence. Quand l’interdit est levé, il est prêt à commencer le tournage de « Quai des Orfèvres ».L’année 1947 va être celle de la revanche de Clouzot et aussi la première élection présidentielle française de la Quatrième République avec Vincent Auriol élu au premier tour.

REVUE DE PRESSE

 Georges Chanrensol, Les Nouvelles Littéraires, 09 octobre 1947 :

« Georges Clouzot est un des rares cinéastes qui ne se contentent pas de traduire des mots sur la pellicule mais qui “pense en images”. Le jour où il trouvera un sujet à sa mesure il nous donnera le chef- d’œuvre que Quai des Orfèvres est bien prêt de constituer »

 André Bazin, Le Parisien libéré, 15 octobre 1947 :

“L’un des trois ou quatre meilleurs metteurs en scène français”.

 Jacques Doniol-Valcroze, La Revue du cinéma, 1947 :

  • On peut ne pas aimer l’atmosphère presque noire de ce drame ; on peut ne pas aimer ces personnages dont la dissection révèle avant tout les insuffisances, les défauts, voire les vices. Mais comme ils sont d’une aveuglante vérité, c’est le procès d’une époque ou d’un milieu qu’il faudrait faire et, en définitive, il ressort de l’œuvre que Clouzot fait justement ce procès… Il le fait en se servant du cinéma ; comme un publiciste se sert de la presse ou de la réunion contradictoire. C’est pourquoi il faut parler de Clouzot, auteur de films, comme un critique littéraire parle de Sartre ou de Faulkner et ne pas s’en tenir à la seule critique. »

 Henri Gault, Paris Presse, 10 juillet 1963 :

« Quai des Orfèvres » est un très bon film policier, un remarquable reportage sur les milieux de la police judiciaire et du music-hall, un film d’amour, simple et profond. c’est surtout un film d’acteurs, d’immenses acteurs. Aujourd’hui on ne fait plus que des films de metteurs en scène, pour qui les acteurs sont un matériau malléable et corvéable, à moins qu’ils ne soient des idoles pétrifiées »

Henri Magnan, Le Monde :

« L’enchaînement des plans et des séquences est agencé avec une extraordinaire agilité d’esprit et de main…C’est là un parfait document humain »

Pierre Chartier :

« Quai des Orfèvres est une œuvre, non pas à voir, mais à revoir et à méditer. C’est une date dans l’histoire du film policier français. Une date heureuse.

Quant aux détracteurs de Clouzot ils lui reprochent encore son goût pour les personnages veules et le côté morbide de ses films.

Leander, Libération :

« Voyons, Monsieur Clouzot, on peut faire du Zola sans faire du Céline »

Dans La Bataille, Denis Marion se montre plus réservé sur la banalité de l’anecdote policière qu’il trouve « parfaitement indifférente ».

En 1995, soixante-dix-sept cinéastes, auteurs, critiques ont désigné à la demande du magazine Positif « les meilleurs, les plus importants ou les plus représentatifs » des films criminels français. Au deuxième rang s’est distingué « Quai des Orfèvres ».  

LOUIS JOUVET

Jules Eugène Louis Jouvet est né le 24 décembre 1887. Alors qu’il n’a que quatorze ans, il perd son père. Suivant le conseil de sa famille, il s’inscrit à la faculté de Paris pour suivre des études de pharmacie en 1904. Passant la plupart de son temps libre dans les théâtres amateurs, il tente de s’inscrire au Conservatoire d’Art Dramatique de Paris, mais ne réussit pas le concours malgré sa persévérance (il échoue trois fois). Après l’obtention de son diplôme, il se marie avec Else Collin, avec qui il aura trois enfants. Avec son ami Charles Dullin, il réussit à se faire embaucher par Jacques Copeau, le directeur du Théâtre du Vieux-Colombier, où il cumulera plusieurs fonctions: régisseur, décorateur, assistant et enfin comédien.

Pendant les années de guerre, il travaille comme ambulancier, puis médecin auxiliaire. Ce n’est qu’en 1917, qu’il retourne au Vieux-Colombier. Cinq ans plus tard, il se lance comme metteur en scène et crée sa propre troupe au Théâtre des Champs-Élysées. Avec ses mises en scène, il connait un véritable succès notamment avec « Knock ou le Triomphe de la médecine » de Jules Romains en 1923. Au début des années trente, Louis Jouvet se lance dans le cinéma. Il joue dans « Topaze » (1932) de Louis Gasnier ou encore dans « La Kermesse héroïque » (1935) de Jacques Feyder. Il adapte également à l’écran avec Roger Goupillières « Knock » (1933).

En 1936, il se retrouve à l’affiche de trois films, dont Les « Bas-Fonds » de Jean Renoir, une adaptation libre de la pièce de Maxime Gorki et se retrouve aux côtés de Jean Gabin pour interpréter le rôle du baron ruiné par le jeu.Il joue dans le film de Marcel Carné, Drôle de drame, et retrouve encore une fois Renoir dans La Marseillaise. Il tourne à deux reprises sous la direction de Pierre Chenal. Il interprète le rôle du commissaire Calas aux côtés d’Erich Von Stroheim dans « L’Alibi » (1938).

Dans La Fin du Jour de Julien Duvivier, il interprète le rôle d’un acteur de théâtre à la limite de la schizophrénie qui perd complètement la notion de la fiction et de la réalité et sombre dans la folie. En 1940, il retrouve Charles Dullin dans Volpone de Maurice Tourneur. Dans Copie conforme (1947) de Jean Dréville, il joue au chef de bande aux côtés de Suzy Delair. La même année, il se glisse dans la peau de l’inspecteur Antoine dans Quai des Orfèvres de avant de tourner dans Entre onze heures et minuit de Henri Decoin en 1948.

Louis Jouvet retrouve une seconde fois la belle Suzy Delair, interprétant le rôle d’une chanteuse des années 20, dans le film Lady Paname de Henri Jeanson. Sa dernière apparition se fera dans une deuxième adaptation de la pièce Knock, signée par Guy Lefranc en 1951. Tout au long de sa carrière au cinéma, Jouvet continue de monter sur les planches de théâtre et signe la mise en scène d’un grand nombre de pièces classiques, notamment de Molière et des pièces plus modernes écrites par Claudel ou encore Sartre.

Depuis sa rencontre avec Jean Giraudoux, Louis Jouvet met en scène plusieurs de ses textes comme Siegfried, Judith, Intermezzo, Électre, Ondine. Louis Jouvet reçoit la Légion d’Honneur avant de s’éteindre à Paris en 1951.

BERNARD BLIER

 Né le 11 janvier 1916 à Buenos Aires. Il grandit en Argentine où son père, biologiste est en mission. La famille Blier s’installe à Paris où il mène des études au lycée Condorcet pour enfin s’orienter en 1931 vers des cours d’art dramatique. Il fait ses premiers pas sur scène en 1934 à la Ciotat pour un cachet de 50 francs, puis à l’écran en 1937 dans « Trois, six, neuf ». Refusé trois fois au conservatoire, il sera finalement reçu et intégrera la classe de Jouvet où il rencontrera ses fidèles amis Périer et Oury.

Blier enchaîne les pièces de théâtre avec notamment « Mailloche » et « l’Amant de Paille », puis se tourne vers le cinéma en 1938 avec un rôle dans « Hôtel du Nord ». En avril, il épouse Gisèle qui mettra au monde, le 14 juin 1939, leur fils Blier Bertrand futur réalisateur. Il partagera alors l’affiche avec Gabin dans « Le jour se lève » mais ne sera pas primé à son concours de sortir du conservatoire.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Bernard Blier est mobilisé dans un régiment d’infanterie à Mayenne. Le 10 mai 1940, il est fait prisonnier et sera interné en Autriche où il perdra 27 kilos et sera rapatrié à cause de sa santé. De retour à Paris, il survit avec de petits rôles jusqu’en 1947 où il est sollicité pour des rôles de maris trompés et d’amoureux bafoués.

Des rôles dramatiques lui sont alors proposés par André Cayatte dans « Avant le déluge » et « Le dossier noir ». En 1959, il est l’une des vedettes du film de Monicelli « La Grande Guerre » sa filmographie s’étoffe alors auprès de Lizzani, Visconti et Corbucci. En 1960, il fait la connaissance d’Annette à Pontarlier qu’il épousera en 1965. Cette même année il devient l’acteur préféré de Georges Lautner pour lequel il tournera de nombreux films.

 Au cours de sa carrière cinématographique, Bernard Blier a tourné plus de 180 films dont le dernier fut un film italien intitulé « Un éclat de vie ». Pendant les dix dernières années de sa carrière, il a tourné vingt et un longs métrages dont onze pour le cinéma italien.

Il reçoit le César d’Honneur le 4 mars 1989 et s’éteint le 29 mars 1989.